Eric a décidé de s'en aller.
Lui, qui craignait si fort la longueur pesante des dimanches
pluvieux de novembre, est parti au printemps, alors que les plantes,
qu'il aimait tant, renaissent et les corps, qu'il admirait goulûment,
se dénudent. Par son geste, c'est son âme certainement
qu'il a voulu dépouiller du néant et de la souffrance
car je sais qu'il croyait à sa survie après la mort.
Il y croyait réellement et pas seulement métaphoriquement.
Alors j'aimerais l'imaginer parmi les anges : un Eric angelot
dodu et moustachu, l'idée un rien transgressive, bonhomme
et provocatrice assurément lui aurait plû!
Il a exprimé son geste, semble-t-il, comme un acte de libération.
De quelle souffrance profonde, lui qui semblait infiniment
doué pour goûter la vie dans son inépuisable
variété, a-t-il cherché à se soustraire?
C'est cette question insoutenable qu'il nous laisse.
Aujourd'hui je pense à lui bien sûr mais aussi
à ceux qui l'ont aimé et qui ont pu rencontrer sa
chaleur et son attention. Il avait l'air si fort que peu de gens
ont suspecté sa fragilité. Cette fois-ci l'ombre
l'a emporté, mais durant sa vie il a diffusé beaucoup
d'amour et de lumière.
Lundi, lors de son enterrement à Lyon, il y avait les
amis d'Aris.
ARIS, l'association homosexuelle dont il a été le
président et où il s'est beaucoup investi auprès
de son ami Philippe. Tous les deux, ils se sont engagés
pour la cause des homosexuels, pour la prévention du Sida
dont Philippe est mort accompagné avec beaucoup d'amour
et de dignité par Eric.
"La cause des homosexuels", je ne sais si ce terme aurait
été accepté par Eric (assurément il
l'aurait discuté), lui, à l'individualité
si forte, qui refusait les amalgammes trop rapides ou démagogiques.
Ce qu'il traquait surtout dans ses textes publiés dans
les bulletins d'Aris ou dans sa vie même, ce sont les comportements
prédéterminés autour de l'homosexualité
et par là les procédés d'aliénation
et d'oppression qui nous conditionnent et tendent ainsi à
faire réellement de l'homosexualité une cause irrémédiable
de souffrance, de culpabilité et d'autodestruction. Les
textes, les propos d'Eric tendent bien à démystifier
cette image.
En outre l'histoire de cet apparent hédoniste, qui savait
décrire de façon étonamment précise
et évocatrice la saveur d'un fruit inconnu ou le galbe
d'un mollet masculin, est riche d'enseignement sur l'engagement
et le sentiment amoureux. Le texte qu'il publia en effet à
la mort de Philippe, est une bouleversante déclaration
d'amour, qu'il a voulu rendre publique certainement pour rappeler
que l'homosexualité, comme toute
forme de sexualité, au-delà de l'exaltation des
corps, peut participer au mystère transcendant de l'amour.
La vie d'Eric a été très riche, principalement
au plan humain. C'était quelqu'un de bien, avec une tête
très bien faite, un coeur très sensible et aussi
une grande pudeur qui lui interdisait au fond de livrer ses
sentiments. Je crois que lui qui maîtrisait si parfaitement
le langage, se méfiait des discours qui exacerbent souvent
une sensibilité affectée plutôt que réellement
sentie. C'est par des actes, des attentions touchantes, qu'il
entendait témoigner son intérêt aux autres,
son affection. Quant à ses idées, nombreuses, fines,
pertinentes, souvent originales mais là encore sans affectation,
il les exposait (assénait aussi parfois pour le contradicteur)
avec générosité. Je sais, pour en avoir profité
moi-même, que nombre de ses interlocuteurs ont quitté
son entretien fécondés.
La mort d'Eric est aussi quelque chose qu'il nous laisse à
méditer à la fois sur ses choix, sur son indépendance
mais aussi sur notre capacité d'écoute et de respect.
Ce n'est vraiment pas agréable mais souvent Eric accouchait
la pensée d'autrui dans la douleur. Il nous a donné
à penser et beaucoup à aimer.
Je suis reconnaissant de l'avoir rencontré.
Guillaume
nbb: pour écrire à Guillaume : mailto:guillaume.faroult@wanadoo.fr |